Marketing digital : femmes invisibles ?

Sur Linkedin on voit passer beaucoup de posts d’experts webmarketing, SEO/SEA/Social Ads/Web analytics (CEO, freelances et salariés). Dans mon feed j’ai remarqué que ces publications sont faites majoritairement par des hommes, peu de femmes prennent la parole sur leur sujet d’expertise. Pourquoi ?

C’est à partir d’un banal constat (l’apparente faible « part d’impression » des expertes webmarketing sur LinkedIn) que j’ai voulu creuser la question de la visibilité des expertes SEA, SEO, Social Ads et Data analyse sur ce réseau et ailleurs. Voici un article où il est question de Youtube, de testostérone et de graphisme genré, ou comment dé ou re construire des stéréotypes… Qu’on se comprenne bien : 1. ceci n’est pas une charge contre les hommes ! 2. Les screens utilisés ne sont pas exhaustifs ! Côté femmes il en manque forcément beaucoup, j’ai pris les miniatures qui apparaissaient dans mon feed Youtube 😉

Test n°1

J’ai voulu aller voir ailleurs que sur LinkedIn, et je me suis amusée à analyser les SERP Youtube liées aux requêtes « formation/tutoriel SEO, SEA, Google Ads, Social Ads et web analytics ». Le résultat ? Il est édifiant : dans la plupart des requêtes, et même en navigation privée, il faut scroller un bon moment – entre 30 et 50 vidéos défilent – avant de trouver une vidéo postée par UNE experte. On est abreuvé de chaînes Youtube masculines aux miniatures de couleurs châtoyantes ^^, et au graphisme clairement inspiré de l’univers du game US.

Test n°2

Je me suis dit : segmentons davantage les recherches. Peut-être que les Google Ads, le SEO et la data analyse sont une spécificité masculine (en fait non je ne le pensais pas du tout, mais c’était pour le test), et toujours sur Youtube, j’ai donc tapé des requêtes “Instagram Ads” et “Pinterest Ads” ; car n’est-il pas traditionnellement admis que ces deux réseaux sociaux sont plus féminins ? Même conclusion que précédemment : je ne vois que des vidéos de chaînes Youtube pleines de testostérone (et sauf exception, des vignettes toujours plus clignotantes les unes que les autres). Là je suis devenue perplexe.

Test n°3

J’ai alors précisé mes requêtes : j’ai supprimé la notion de publicités (« ads »), et j’ai davantage ciblé la stratégie éditoriale et le copywriting, partant du possible postulat que piloter des campagnes relève (dans une espèce d’inconscient collectif) du domaine technico scientifique réservé aux garçons, et que la production de contenus sémantiques relève d’une appétence littéraire qui serait naturellement dévolue aux filles. Stupeur et tremblements. Là non plus, quasiment aucune vidéo faite par des femmes. (et les vidéos des mecs piquent toujours autant les yeux)

Sur YouTube la prise de parole est trustée par les hommes

1] En matière de marketing digital, sur Youtube la prise de parole est trustée par les hommes, tant sur les expertises techniques, sémantiques, stratégiques que communicationnelles au sens large. 

2] Par conséquent, les chaînes Youtube des femmes n’ont que très peu de visibilité. Quand on cherche, on en trouve, mais elles sont rares. Je remarque aussi que c’est sur le sujet “LinkedIn” que les femmes s’expriment le plus en vidéo.

3] On voit bien aussi des pastilles vidéo avec des femmes mises en avant sur les miniatures, mais en réalité souvent elles ne parlent pas en leur nom propre, ce sont des salariées (ou des comédiennes, je ne sais pas) qui parlent au nom de l’agence digitale dont elles font partie. Doit-on y voir le spectre de la speakerine 80’s ou de l’hôtesse d’accueil sexy qui est là pour attirer le chaland ? Je n’espère pas.

Constat plutôt triste donc… Car on sait à quel point ces vidéos de vulgarisation, de tutoriels, de tips et de petites formations gratuites peuvent constituer un levier puissant d’acquisition clients pour leurs auteurs/autrices. Une bonne visibilité dans les premiers résultats de recherche (si bien entendu les contenus sont qualitatifs) peut déboucher sur des ventes de formations premium et des accompagnements, bref des sources de revenus non négligeables pour un freelance !

Quelle est la place des femmes dans le marketing digital ?

Pour aller plus loin, une étude de la fondation Femmes@numériques indique qu’en 2017 la part des femmes dans les métiers de l’expertise et du conseil digital ne s’élevait qu’à 24% 😕 (recensement INSEE). Elles ne représentaient aussi que 17% dans les métiers de la programmation et du développement. Mais 45% dans les secteurs de la data analyse et l’IA ! 😀 On le sait, on enfonce des portes ouvertes en disant que beaucoup de femmes ont intériorisé, depuis leur plus jeune âge, qu’elles ne sont pas assez légitimes pour exercer telle ou telle profession. 

C’est ce qui explique sans doute pourquoi les expertes sont plus discrètes que leurs homologues masculins, car je ne pense pas que revendiquer une expertise ou dispenser un savoir soit une prédisposition typiquement masculine ! Les stéréotypes ont encore la vie dure mais on est en droit de penser que depuis 2017 les lignes ont bougé et que les chiffres cités plus haut par Femmes@numeriques sont bien plus importants aujourd’hui.

Alors, comment rendre les femmes plus visibles dans leurs prises de parole professionnelles ? Tout d’abord je n’aime pas le terme « invisibilisation des femmes ». Selon moi il présuppose un statut victimaire qui exige, dans un contexte d’attentisme, une forme de réparation de la part du « dominant ». Je suis de celles qui disent que chacun est responsable de son destin. Je suis de celles qui scandent « n’attends pas qu’on te donne ta place, prends-la ». Et, heureusement, certaines l’ont bien compris ! On voit de jeunes ténors féminines, au caractère bien trempé et donc clivant, qui parviennent à se tailler une belle part du gâteau en matière de crédibilité et notoriété sur LinkedIn. Pour toutes les autres, celles de la masse silencieuse ou discrète, c’est de leur responsabilité d’obtenir plus de visibilité si elles le souhaitent.

Si on veut évacuer l’analyse sociologique ou genrée, on peut recommander aux expertes en mal de visibilité de travailler leur SEO Youtube pour apparaitre plus haut dans les SERP. Les best practices, on les connait, voici les principales :

  • soigner les titres des vidéos et en renseignant bien les descriptions
  • sélectionner des mots-clés et des hashtags pertinents
  • annoncer clairement la valeur ajoutée du contenu proposé
  • inciter à l’engagement auprès de sa communauté – likes & commentaires
  • partager massivement les vidéos sur d’autres médias/plateformes/RS

Un graphisme genré par les constructions sociales ?

Un autre point important d’optimisation de SEO Youtube : les miniatures des vidéos (les thumbails). Et c’est là que le bât blesse car on ne peut pas échapper à une analyse esthétique qui sera ici profondément genrée. Esthétique triomphante versus bon goût ?

D’un côté nous avons des vignettes masculines, où pas mal d’experts se mettent en scène dans des postures de roi du pétrole ou de mâle alpha (index pointés, gros bras musclés croisés, grimaces ou mimiques très expressives), le tout sur fond de bandeaux de couleurs vives et gros titres en incrustation (les textes prennent quasiment tout l’espace).

De l’autre, nous avons des vignettes féminines, où des expertes se mettent en situation professionnelle (devant un PC) et dans un graphisme plus doux, plus enrobant, aux couleurs pastel, aux polices sobres.

Pour résumer : une communication beaucoup plus agressive du côté des mecs, et toute en retenue chez les filles ! Des vignettes avec des gros titres et des visuels suggestifs de domination ou d’accomplissement social doivent certainement jouer sur le taux de clics. Et on sait que Google catégorise et privilégie les images « attractives », en tout cas lisibles pour l’internaute. Pas étonnant donc que les vidéos des femmes soient moins mises en avant par l’algo, génèrent moins de clics etc… Pour créer un cercle vertueux, il faudrait donc que les expertes jouent aussi le jeu de la surenchère esthétique, à grand renfort de bandeaux fluo et de postures de winneuses… Pour ma part, je pense que les femmes ne sont pas obligées de singer les hommes pour avoir les mêmes performances. A chacune de trouver son chemin !